Le grand débat autour du temps est donc une actualité qui risque de seprolonger par-delà tous les débats entre Bergson et Proust, mais aussi par-delà lebilan sans équivoque de nos outils numériques, qui eux aussi nous avaientpromis de le défier.
Avant de diriger mes propos sur des pensées beaucoup moins ambitieuses, j’avoueque le temps pris à envisager la direction de ma chronique… a au moins cela de bon qu’il m’a fallu leprendre ! Sans revenir sur les nombreuses pensées venues se presser dans l’agorade mes échanges, et pour chacune défendre ou justifier leur nécessité d’existerdans ces lignes, avec un peu de recul dans ce chahut, le constat futrelativement aisé: depuis quand n’avais-je pas pris soin de recevoir mon hôte ?
Il ne fait que passer et pourtant là j’avais eu par la force de ces lignesrendez-vous avec lui. Il s’est donc arrêté un instant remettre mes quelquesvieilles pendules à l’heure… si l’expression m’est permise !
En reprenant sa course, c’est un air qu’il se donne : il ne faut pas s’yfier ; et avant de recevoir tour à tour mes invités, ceux-là dont le chahut existentiel animeraient mes remarques, j’aiarrêté mes pendules et me suis retiré, le temps d’un instant…
Sommes-nous arrivés à cette croisée des chemins qui demande alors à soninvité de faire un choix ? La question soulève tous les aspects de nosquotidiens. Le temps que l’on s’accorde, celui que l’on donne aux siens, celuiqui jalonne nos agendas et surtout celui qui nous reste à vivre. Chacune de cesquestions détermine alors le « soi » dans cette mesure malheureusement définie.
L’homme trouve bien là sa croix. Surtout que ce temps supposé par nosstatistiques est propre à chacun et dans cette quête que l’on a tous, la quêted’exister, de s’individualiser, celle de l’individu, la perception de ce tempsest unique. Chacun sa méthode…
Le constat général, on se l’accordera, est de voir ce temps prendre labarre de nos vies, et sentir le bon capitaine quelquefois désemparé. Alors,quand la tempête arrive, l’heure des choix est essentielle. Seul le capitainequi aura su voir venir le gros temps, donc qui aura su prendre du recul, pourraramener son équipage à bon port. Celui qui s’est retiré un instant…
Le tout réside alors dans cette distance. Dans le temps que l’on s’accorde.Dans la capacité à discerner (pour reprendre l’expression à la mode), « The big picture ». Ou ravir ceux dontla foi est souveraine, opter pour la promesse d’un paradis, proche ou lointain conditionnel à l’adoption d’un comportementexemplaire, dogmatique ou non... Il y a là plus généralement une certitude qu’ilfaut avouer : nos actes (étant moi-même contre tout dogme) sont mère des conséquencesà assumer. Je défends cependant ici le droit à chacun d’en faire le choix. Ducuré à l’anarchiste, le choix est le même…
Je reste cependant certain que la sincérité est garante du soi. Seule cetteliberté est garante de responsabiliser nos congénères. Ainsi, l’uniformisation des comportements que notre temps dicteest à mon sens une perte évidente.
Depuis quand l’anarchiste doit-il plaire au curé ? Sans revenir dans lesclichés plébiscités et dorant les diverses campagnes publicitaires du « slow »à la mode, il y a, à vrai dire, deux sortes de temps : il y a le temps qui attend et le temps qui espère.
Cependant je m’autorise à en proposer une autre définition: celle du tempsqu’il faut prendre et surprendre. Le moment présent a un avantage sur tous les autres : Il nous appartient. C’estnotre métier d’homme… Toutes les fleurs de l’avenir sont dans les semences d’aujourd’hui. Alors, pour ce qui est del'avenir, il ne s'agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible.
Cela nécessite une peu d’égoïsme : écouter son cœur, sa grenouille, ne pasfuir, assumer ses plus sincères désirs, au-delà des obligations, des mœurs etdes qu’en-dira-t-on ! Il faut se retirer, penser à soi, prendre comme lecapitaine ce temps pour voir au-delà des vents ou des tempêtes. Savoir sur quelle île onveut ancrer son navire… car dès lors, l’île une fois atteinte fera à jamais partie de votre vie.
Plus concrètement, depuis plus de 10 ans je suis témoin, dans mon métier d’agentde voyage, de ces clients partis en régions himalayennes, toutes confondues, faireun trekking. Un trekking loin de tous repères, sans téléphone, sansordinateurs, sans contrainte de temps et surtout au plus près de soi dans l’exercicequotidien de la marche. Alors je fais toujours ce même constat. Ils sont toujourslà à l’heure, ils partent fatigués, préoccupés de leur quotidien, souvent presséset absents. Ils arrivent en retard, rentrent sereins, reposés, les yeuxbrillants en sirotant avec patience le thé qu’on leur aura servi. Ils rentrenten ramenant dans leurs yeux celui qu’ils avaient un peu oubli .
Souvent surpris par leur propre constat, ils repartent très souvent… J'airemarqué que les gens qui sont en retard sont de bien meilleure humeur que ceuxqui ont dû les attendre.
Le temps des folies, le temps perdu, le temps de la vie, le temps quivient, jamais ne s'arrête, et je sais bien, que la vie est faite, du temps des uns, et du temps des autres. Le tien, le mien, quipeut devenir nôtre.
Nicolas Ambrosetti
Market Magazine, Septembre 2011