L’âme tissée des peuples khmers et laotiens
Au Laos comme au Cambodge, le tissu est une mémoire tissée à la main, une prière lente aux dieux, aux ancêtres, à la terre. Chez les Tai Lue, Hmong, Phuan ou Lao Loum, chaque étoffe porte une trace du monde : motifs cosmiques, teintes végétales, récits de clan. Ces textiles ne s’exhibent pas, ils murmurent. Leur beauté naît de la patience et du silence. Au Cambodge, c’est le krama, simple étoffe de coton à carreaux, qui incarne cette sagesse quotidienne. Drapé autour du cou, du front ou des hanches, il accompagne le pays dans tous ses gestes. Mais ce même krama — rouge et blanc, grossier, standardisé — fut aussi l’uniforme des Khmers rouges, devenu symbole d’une époque de violence, d’uniformisation, de peur. On a voulu y gommer l’individu. Aujourd’hui, ce tissu revient, lentement, comme une page qu’on réécrit, avec d’autres couleurs, d’autres plis. Il redevient ce qu’il a toujours été : un accessoire d’élégance modeste, de fierté tranquille, et peut-être même, un signe de liberté. Des ateliers comme Ock Pop Tok ou Villageworks au Cambodge, Mulberries au Laos, tissent encore à la main ces merveilles : sampot plissés, sarongs de cérémonie, soies brodées de symboles anciens. Ce sont des fragments d’humanité vivante. Des étoffes qui disent que la beauté peut survivre à tout — même à l’oubli, même à l’horreur.